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 Face aux multinationales qui veulent s’emparer de la semence, les paysans résistent par l’idée de bien commun

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MessageSujet: Face aux multinationales qui veulent s’emparer de la semence, les paysans résistent par l’idée de bien commun   Face aux multinationales qui veulent s’emparer de la semence, les paysans résistent par l’idée de bien commun EmptyMar 16 Juin - 14:01

Face aux multinationales qui veulent s’emparer de la semence, les paysans résistent par l’idée de bien commun

15 juin 2015 / Lorène Lavocat et Anaïs Cramm (Reporterre)

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Pendant des siècles, les paysans ont utilisé leurs propres semences, créant une biodiversité extraordinaire. Aujourd’hui, cette richesse est mise en danger par la rapacité de quelques multinationales. Leur arme ? Les droits de propriété intellectuelle. Face à cette menace, les paysans exigent que les semences restent ce qu’elles ont toujours été : des biens communs.

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« Ils sont en train de s’emparer de toutes les plantes qui existent sur la planète ! » Guy Kastler ne cache pas son indignation ni son inquiétude. « Ils », ce sont les industriels semenciers. Monsanto, Pioneer, Syngenta. Une poignée de multinationales qui contrôle aujourd’hui le marché de la semence… et l’avenir de notre agriculture. « Ils nous imposent des lois qui interdisent les semences que les paysans reproduisent dans leurs champs, pour les remplacer par quelques génies (Gènes ?) synthétiques marqués du sceau de leur propriété intellectuelle », explique-t-il.

Syndicaliste aguerri et membre fondateur du Réseau semences paysannes, il défend les droits des paysans, et notamment celui de cultiver, de ressemer et d’échanger des semences. Une pratique millénaire remise en cause depuis près de cinquante ans par l’essor des droits de propriété intellectuelle (DPI).

Créés à l’origine pour empêcher la contrefaçon et protéger les inventeurs industriels, comme pour les droits d’auteur, ces DPI ont peu à peu investi le monde agricole. Avec un argument, réitéré en 1998 par une directive européenne : « La recherche et le développement exigent une somme considérable d’investissements à haut risque que seule une protection juridique efficace peut permettre de rentabiliser. » A coups de brevets et de certificats d’obtention végétale, les semenciers ont ainsi pu s’approprier des variétés prélevées dans les champs des paysans. Et réclamer ensuite des royalties. C’est une aberration, selon Ananda Guillet, de l'assotiation Kokopellil : « Les semences, comme n’importe quel être vivant, n’appartiennent à personne et à tout le monde en même temps, il ne peut y avoir de droit de propriété ! »

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A force de sélection, les paysans ont créé de nombreuses variétés de maïs, chacune adaptée à un terroir.

Les industriels peuvent breveter ce qui existe déjà


Un accaparement qui s’accélère aujourd’hui via un nouveau type de brevet « sur les caractères natifs ». Jusqu’ici, seules des variétés nouvelles pouvaient faire l’objet d’un titre de propriété. Désormais, « les industriels peuvent breveter ce qui existe déjà », résume Guy Kastler.

En 2013, tel Christophe Colomb découvrant l’Amérique, la compagnie Syngenta « trouve » un poivron jamaïcain résistant à un parasite, la mouche blanche. En laboratoire, grâce au marquage moléculaire, les chercheurs parviennent à identifier la séquence génétique qui permet à la plante de survivre aux attaques de l’insecte... et la brevettent. Problème, nombre de paysans cultivent déjà des poivrons résistants. « Ça paraît un peu hurluberlu, mais Syngenta pourrait aujourd’hui aller les voir et leur demander de payer des droits de licence », explique Emilie Lapprand, juriste pour le Réseau Semences paysannes. « Ils disent, ’cette plante résiste à tel insecte, j’ai trouvé la séquence génétique qui lui permet de faire ça, toutes les plantes qui résistent à cet insecte m’appartiennent donc’ », résume Guy Kastler.

« Toutes les semences devraient être libres de droit et reproductibles », martèle Ananda Guillet. L’association Kokopelli commercialise depuis près de vingt ans des semences pour des jardiniers, sans se soucier d’éventuels droits de propriété. « On est un peu anarchiste, on refuse toute règlementation, même si on demande que les OGM soient interdits. » Pour Ananda Guillet, les semences, comme les logiciels libres, doivent relever du domaine public et être accessibles à tous.

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Pour lutter contre l’érosion de la biodiversité, des paysans créent des conservatoires d’anciennes variétés, comme ici sur la ferme du Roc, dans le Lot-et-Garonne.

Une revendication qui laisse sceptique Guy Kastler. « Tout le monde crie liberté, liberté ! Mais le marché libre, c’est la dictature des entreprises, et sans règles et sans barrières, pas de souveraineté alimentaire. » A l’inverse de Kokopelli, le Réseau Semences paysannes revendique ainsi des droits des agriculteurs sur leurs semences. « Dans le monde vivant, les semences libres, ça n’existe pas », dit M. Kastler. « Aucune plante cultivée n’existe sans co-évolution avec un groupe humain, dans la nature, si tu laisses une plante libre, elle redevient sauvage. »

« Le patrimoine commun de l’humanité est devenu le patrimoine commun des semenciers »


Si les semences ne sont pas libres, pourraient-elles au moins être communes ? Depuis les années 1980, elles sont reconnues, en tant que « ressources phytogénétiques », comme patrimoine commun de l’humanité. Un statut censé les rendre inappropriables. Problème, dans les faits, il donne « accès à ces ressources aux firmes pharmaceutiques et semencières (des pays riches), sans que ces dernières soient tenues, d’une quelconque manière, de redistribuer une partie des bénéfices qu’elles pourraient en tirer », dit Frédéric Thomas, chercheur à l’Inra.

L’argument du « ce qui est à toi est à moi » a joué en faveur des multinationales, dont les moyens dépassent largement ceux des petits paysans. « Le patrimoine commun de l’humanité est devenu le patrimoine commun des semenciers », conclut Guy Kastler.

En 2001, le Traité international sur les ressources pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) reconnaît enfin aux agriculteurs et aux communautés autochtones le droit de « protéger leurs connaissances traditionnelles, participer aux décisions nationales concernant les ressources et de conserver, ressemer et échanger leurs semences. » Charge à chaque Etat de faire respecter ces nouvelles règles… qui sont bien souvent reléguées au placard.

Faire des semnces un bien commun


Plutôt que de patrimoine commun, les défenseurs des droits paysans préfèrent parler de « commons » ou de biens communs. « Un bien commun est un bien considéré comme un bienfait par tous, et auquel chacun devrait avoir accès », explique l'économiste Laurent Cordonnier. Comme l’eau ou la santé, les semences pourraient relever de cette définition.

Échanger des savoir-faire, se répartir ou mutualiser certaines activités, participer à des programmes de recherche, conserver ou sélectionner de nouvelles variétés adaptées localement... Pour bon nombre de paysans, s’organiser collectivement pour gérer les semences est devenu une nécessité. Cette gouvernance des communs prend souvent la forme de "Maisons des semences".

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Pour gérer collectivement leurs stocks de graines, les paysans s’organisent en Maison de la semence. Une idée importée du Brésil, et qui se développe en France, comme ici dans le Périgord

Au début des années 2000, Bertrand Lassaigne, paysan périgourdin, se rend au Brésil, en quête de variétés de maïs. Là-bas, il découvre les Casas de sementes criollas, où les paysans échangent et conservent leurs graines. Il rapporte l’idée dans ses bagages et l’essaime en France. "Le terme désigne une organisation collective de gestion des semences paysannes", précise Remy Lebrun, d’Agrobio Perigord. Au sein d’une de ces maisons, l’association organise la préservation et la multiplication de variétés de maïs. Chaque année, de petites quantités de semences sont confiées à des agriculteurs. Ces derniers les sèment, les récoltent et en restituent une partie à la Maison.

Pour nombre de mouvements paysans, la seule manière de les préserver d’une privatisation dangereuse pour l’humanité, c’est d’en confier la gestion aux communautés rurales elles-mêmes. Un ensemble de règles décidées collectivement, aussi appelées droits d’usage, permettrait de réguler l’accès à ces ressources. Qui gère le stock de graines, quelles sont les conditions d’échange, que faire contre les plantes invasives... Ainsi, même si les semences n’appartiennent à personne, impossible de les utiliser sans respecter un certain nombre de pratiques, définies par la communauté qui les a conservées. Elle seule pourrait décider si ses semences sont libres ou non.

S’il était réellement appliqué, le Tirpaa serait un premier pas timide vers cette notion de commons. Mais les mouvements de paysans et de jardiniers n’ont heureusement pas attendu les pouvoirs publics. Depuis près de vingt ans, ils s’organisent, hors du cadre légal, pour troquer, multiplier et essaimer leurs semences. Et ainsi libérer la biodiversité.
Complément d’information

- Lire aussi l’article de Guy Kastler : « Semences : les droits collectifs des paysans des jardiniers et des communautés contre les droits de propriété intellectuelles ».

Lire aussi : Face au changement climatique, les semences paysannes sont l’avenir de l’agriculture
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