Akasha
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| Sujet: Bhoutan : au pays du Bonheur national brut Dim 30 Aoû - 21:25 | |
| Bhoutan : au pays du Bonheur national brut
Niché au cœur de l’Himalaya, le petit royaume du Bhoutan refuse "la dictature du produit intérieur brut (PIB)" et de la croissance économique à tout prix, en proposant un nouvel indicateur de richesse : le bonheur national brut (BNB). Lancé en 1972, le "nouveau paradigme" s’appuie sur quatre piliers : la protection de l’environnement, la conservation et la promotion de la culture bhoutanaise, la bonne gouvernance et le développement économique responsable et durable. Aujourd’hui, le BNB irrigue toute la vie du pays, entraînant de profonds bouleversements dans l’agriculture (objectif : 100% biologique en 2020), l’éducation nationale, où l’on prépare les élèves à devenir des "ambassadeurs du changement", la gestion des ressources naturelles (réglementation stricte de l’abattage des arbres et de l’exploitation minière), la santé - gratuite pour tous -, le tourisme - haut de gamme -, ou le commerce (non adhésion à l’Organisation mondiale du commerce). Le film raconte le développement du BNB à travers le témoignage de hauts responsables mais aussi d’acteurs de terrain, habités par une vision du bonheur et du bien commun qui a fait l’objet d’un rapport très remarqué aux Nations unies. Dépaysement assuré au pays du dragon tonnerre, passé du Moyen Âge à la modernité en moins de cinquante ans : une voie vers une société durable et plus équitable ?
De Marie-Monique Robin, Guillaume Martin, Françoise Boulègue et Marc Duployer – ARTE GEIE / M2R Productions (réalisé avec le soutien du CNC) – France 2014
Marie-Monique Robin : "Pour moi, le Bhoutan, c'est un effort sincère de penser autrement" Conditions de tournage, impressions de voyage, choix éditoriaux, Marie-Monique Robin a répondu aux questions d'ARTE Info sur son nouveau documentaire : - Comment s’est passé le tournage ?
Nous avons passé 18 jours à tourner au Bhoutan. Cela a été compliqué, nous avons mis plus d’un an à organiser ce voyage car les gens sont assez peu joignables et nous voulions interviewer des personnages importants, comme l’ancien premier ministre. Nous voulions aussi suivre les équipes qui s’occupent du sondage sur le bonheur national brut parmi la population, qui a lieu tous les trois ans, et cela a été difficile à coordonner. Mais nous avons réussi à avoir tout ce que nous voulions et avons même beaucoup de matière non-utilisée. Il faut beaucoup anticiper et mutualiser les choses. Car cela coûte très cher : en effet comme tous les touristes, les journalistes doivent payer 250 $ par jour pour pouvoir rester dans le pays, même si une voiture avec chauffeur et un guide sont fournis. Nous étions trois, ça chiffre très vite…
L’ancien premier ministre avait lu mon livre et vu mon film sur Monsanto alors ça a permis d’instaurer une confiance au départ. Il est l’artisan de la philosophie du bonheur national brut, a présenté le rapport "Le bonheur national brut, vers le développement d’un nouveau paradigme ? " aux Nations unies et depuis 2012, le 20 mars est la journée mondial du bonheur. Ce concept a été médiatisé à partir de 1979, lorsque le quatrième roi, en route pour le sommet des pays non-alignés à Cuba, a donné une interview à des journalistes indiens lors d’une escale à Bombay en présentant son pays de cette manière.
Quelle est votre opinion personnelle sur cette philosophie du bonheur national brut ?
Comme tout le monde, j’étais un peu sceptique sur certaines annonces, comme le fait d’être le premier pays entièrement bio en 2020. Mais ils le font vraiment, l’Etat encourage les coopératives agricoles, les jeunes entrepreneurs qui se lancent dans le traitement des déchets, etc. Quand nous avons tourné dans l'école-pilote qui est montrée dans le documentaire, je me suis vraiment dit que j’aurais voulu que mes enfants grandissent là-bas. Nous avons tous trois fait le tour du monde dans tous les sens et n’avons jamais été autant dépaysés. Pour moi, le Bhoutan, c'est un effort sincère de penser autrement.
Ce modèle est-il transposable ailleurs ?
Evidemment c’est un très petit pays, à la culture bouddhiste, qui a longtemps été isolé et leur fonctionnement n’est pas transposable partout en l’état. Mais j’ai interviewé des experts qui ont travaillé sur le rapport proposé par le Bhoutan et ils sont d’accord pour dire que mesurer la richesse d’un pays avec le seul PIB n’est plus possible. Cela a été utile juste après la Seconde guerre mondiale pour mesurer le redressement économique mais aujourd’hui ce n’est plus du tout adapté. Les malades qui souffrent du cancer ou les destructions dues aux catastrophes naturelles générent aussi de l’emploi et des besoins mais il n’y a pas de distinction entre ce qui est bon et mauvais pour la planète et les gens dans cet indicateur de production. L’humanité consomme une planète et demi par an, qui n’a plus le temps de se régénérer. Nous sommes au bord du gouffre et ce n’est plus possible de continuer avec le mode de vie occidental. Il faut changer de thermomètre pour mesurer la richesse et le développement d’un pays et le BNB est un bon exemple qui prend tout en compte. Leur démarche est inspirante. Par rapport à d’autres pays dits sous-développés, on ne sent pas la misère, j'ai vu des gens qui mangent à leur faim, ont un toit, bénéficient de l’éducation et de la santé gratuites et sont intégrés à une communauté. La notion de bonheur est très relative, ils veulent comme tout le monde que leurs besoins matériels soient couverts mais ils accordent aussi beaucoup d’importance au reste.
Avez-vous eu le sentiment d'une "dictature du bonnheur", que ces décisions radicales prises par le gouvernement ont été imposées à la population ?
Non, ils sont très fiers de leur identité. Tout d’abord, ils adorent leur roi et le respectent énormément, comme ils aiment son père, qui a décidé d’abdiquer en 2008 à 50 ans au profit de son fils car il estime que le pays doit être géré par quelqu’un de plus jeune. Ils ont alors basculé vers un système parlementaire de monarchie constitutionnelle et ont commencé à former des partis. Les rois ont des modes de vie simples, sont éclairés et proches de la population. Il a en effet décidé que tous les gens occupant des positions publiques comme les enseignants devaient porter le costume traditionnel mais ils voient cette règle comme une façon de maintenir l’égalité entre tout le monde. Ils ne s’embêtent pas avec "l’emballage", je n’ai pas senti qu’ils le subissaient comme une contrainte.
Ils ont quasiment interdit l’exploitation minière pour éviter la détérioration de l’environnement, il n’y a pas de publicité dans les rues, ce qui est très agréable, et le gouvernement fait tout pour éviter l’endettement de la population et la surconsommation. C’est un pays qui s’ouvre peu à peu à l’extérieur mais qui ne veut pas n’importe quel progrès. Je suis revenue beaucoup plus impressionnée que ce que je ne pensais. Ils sont modestes, ils disent eux-mêmes qu’ils ne sont pas le pays du bonheur, qu’il y a des choses à régler comme la pauvreté rurale, l’intégration des jeunes sur un marché de l’emploi encore restreint ou le défi de l’accroissement démographique dans la capitale. Ils sont aussi revenus sur l’interdiction absolue du tabac dans les lieux publics (qui avait été décidée en 2004, ndlr) car ils se sont rendus compte que ça allait trop loin. Mais ils savent où ils veulent aller et ne veulent pas d’un développement qui crée de l’inégalité sociale.
Quel est l’état de la vie politique et médiatique du pays ?
Il y a eu des nouvelles élections en juillet 2013, lors desquelles un nouveau premier ministre a été élu, d’un autre parti que le précédent. Il y a eu des rumeurs colportées par la presse comme quoi il voulait remettre en cause le bonheur national brut, mais c’est faux, il m'a confirmé qu'il se situe toujours dans cette lignée. Depuis 2008, plusieurs journaux se sont créés, qui sont tous proches d'un parti politique (il y en a cinq, ndlr), en anglais et en langue dzongkha. Ils sont plutôt libres, sauf exception pour la figure du roi qui reste totalement intouchable.
Quand on s'intéresse au Bhoutan, on trouve soit des informations sur le Bonheur national brut, soit sur l’expulsion de milliers de Lhotsampas dans les années 90 (voir "La polémique du sort des Lhotsampas" en bas de page). Pourquoi n’avez-vous pas abordé ce second aspect et quel est votre avis sur cet événement historique ?
J’ai bien sûr fait des recherches sur cette question mais je n’ai pas trouvé de réponse claire ni de preuves assez complètes. J’ai interviewé des gens proches du dossier qui m’ont expliqué que c’était plus compliqué que ce qui est généralement relayé : ce n’est pas dit dans les articles consacrés aux Lhotsampas mais la plupart des expulsés sont ceux arrivés lors de la deuxième vague d'immigration pendant le conflit au Népal. Dans la masse des paysans népalais terrorisés qui fuyaient leur pays, il y a eu des groupes terroristes qui ont tenté d'implanter la lutte maoïste au Bhoutan en voulant intégrant les Lhotsampas dans la guerilla. Le Bhoutan ne pouvait ni gérer cette pression démographique ni cette insécurité et pour préserver l'équilibre du pays, a décidé de renvoyer au Népal toutes les familles arrivées après 1958, c'est-à-dire après la promulgation de l'acte de citoyenneté qui a octroyé ce statut à tous les Lhotsampas présents à l'époque. Bien sûr, il y a eu une intervention de l'armée, des violences et des bavures mais ce n'était pas une stratégie nationaliste, ils ne pouvaient simplement pas absorber ces dizaines de milliers de réfugiés. Dans les camps de réfugiés à la frontière népalaise, il n'y a pas forcément que des Lhotsampas expulsés du Bhoutan, il y a aussi des Népalais qui sont venus directement s'y réfugier, donc c'est très ardu de prétendre avoir une vision juste de la situation.
Je peux juste dire que je n'ai pas été témoin de discrimination à l'encontre des Lhotsampas qui vivent encore au Bhoutan et qui pour certains d'entre eux ont des postes haut-placés, ni contre les chrétiens, contrairement à ce qui a parfois été écrit. Par exemple, c'est un Lhotsampa qui dirige le Centre du Bonheur national brut et je l'ai interrogé là-dessus, il m'a assuré qu'il était intégré comme n'importe quel Bhoutanais. Je ne défends pas le Bhoutan, je ne suis pas connue pour défendre les intérêts privés de quiconque et si j’avais le moindre doute sur leur sincérité, je vous le dirais. Je ne me voyais pas aborder cette question dans un documentaire de 28 minutes et tout mélanger. Pour tirer au clair cette affaire, il faudrait faire une enquête sur plusieurs années et démêler le vrai de la construction médiatique à mon sens. Il faut se rendre compte que le Bhoutan est devenu un symbole qui ne plaît pas à tout le monde, et surtout aux puissants qui se verraient bien l'abattre : ils ont refusé d'adhérer à l'OMC, le projet sur le bonheur qu'ils ont déposé à l'ONU a été signé par 63 pays, ils défendent leurs paysans et leur économie locale. Ils refusent de rentrer dans le système à tout prix et le monde des affaires ne voit forcément pas ça d'un bon oeil.
Propos recueillis par Laure Siegel
@@@ Le site de Marie-Monique Robin
http://info.arte.tv/fr/bhoutan-au-pays-du-bonheur-national-brut | |
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