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Sujet: L'intrication quantique — Science étonnante #23 Sam 23 Jan - 21:11
L'intrication quantique — Science étonnante #23
Aujourd’hui une vidéo sur un phénomène bien mystérieux : l’intrication quantique
Comme toujours quand je traite de sujets de ce type en vidéo, j’aime bien apporter quelques compléments et précisions par écrit, qui je l’espère viendront éclairer ceux qui se posent encore des questions après le visionnage de la vidéo.
Comme d’hab, c’est un peu un inventaire pas forcément très structuré de pensées diverses.
L’expérience de déviation
L’expérience de déviation dans un champ magnétique, on l’appelle l’expérience de Stern et Gerlach. Il y a plusieurs choses intéressantes à dire à son sujet.
Premièrement, j’ai dit dans la vidéo qu’on la faisait en balançant des atomes (et pas des électrons). Ca n’est pas un lapsus ! Si on balance des électrons dans un champ magnétique, il vont déjà être déviés par la force de Lorentz, du simple fait qu’ils sont chargés, et indépendamment de la question du spin. Voir l’effet du spin va donc être difficile ! Donc en pratique pour s’affranchir de cet effet, il faut une particule neutre (comme un atome), mais qui possède un spin : c’est le cas notamment pour certains atomes ayant un numéro atomique impair (comme l’argent, 47) et donc un nombre impair d’électrons. Ils se rangent deux par deux dont le spin se compense, et le dernier électron détermine le spin total de l’ensemble.
Deuxième point caché dans la vidéo, pour qu’il y ait déviation il faut un gradient de champ magnétique, pas juste un champ uniforme ! Ca se voit en calculant l’énergie de couplage entre le spin et le champ magnétique, et en constatant que si le champ possède un gradient, alors l’énergie aussi, ce qui engendre une force.
Enfin un point fondamental que je n’ai pas commenté : si on part d’un atome (ou d’un électron) dans un état superposé, et qu’on le balance dans un gradient de champ magnétique, il subit une déviation soit vers le haut, soit vers le bas; et se retrouve donc projeté dans l’un des deux états possibles. Le fait de passer dans le champ est donc une mesure ! Et ca nous permet de toucher du doigt ce qu’est une « mesure » (ou « un appareil de mesure ») en mécanique quantique : c’est une interaction avec un système classique macroscopique, qui va forcer le système quantique à se projeter dans un état propre.
C’est quoi exactement un état intriqué ?
Dans la vidéo, j’ai choisi de présenter l’état intriqué le plus classique, celui de deux particules dont le spin total est nul
\displaystyle \frac{1}{\sqrt 2} (|+-> + |-+>)
(Notez que pour cette fois je mets la normalisation, mais pour la suite je vais vous l’épargner) Mais des états intriqués, il en existe d’autres, comme par exemple celui où les deux particules sont dans une superposition d’états de même spin
\displaystyle |++> + |-->
Ce second exemple d’état intriqué est peut-être plus simple conceptuellement (les mesures sur les deux particules sont toujours identiques, plutôt qu’opposées), mais je crois que ça n’est pas le plus simple à fabriquer dans des expériences. En effet dans les réactions qui font intervenir des créations et annihilations de particules, il y a toujours des lois de conservation, comme par exemple la conservation de l’énergie ou de l’impulsion (…ou plutôt en théorie des champs la « quadri-impulsion » qui les regroupe). Or c’est justement par des mécanismes de conservation qu’on arrive par exemple à générer des paires de particules dont on sait que le spin total est nul, mais qui sont dans la superposition des deux situations possibles
Alors tout ça, ce sont des exemples d’états intriqués, mais ça ne donne pas la définition générale d’un état intriqué. En terme techniques, un état intriqué à deux particules, c’est un état qui ne peut pas se mettre sous la forme d’un produit tensoriel de deux états : un pour chaque particule.
Donc les états des deux particules sont en fait bien séparés, et chaque particule vit sa vie indépendamment de l’autre : les mesures sur l’une ne réduisent pas le paquet d’onde de l’autre. Aucune intrication.
Le cas que j’ai présenté dans la vidéo est bien sûr celui d’une intrication totale. Mais on peut imaginer toutes les situations intermédiaires entre ces deux extrêmes.
Les inégalités de Bell Venons-en au gros du sujet : les inégalités de Bell. Je ne vais pas vous les démontrer, mais je vais m’efforcer de préciser un peu plus le contexte et la signification. J’ai fait vite l’impasse pendant la vidéo, mais ces inégalités s’appliquent pour nous à des mesures faites sur un système intriqué pour des observables qui ne commutent pas, c’est-à-dire qu’on ne peut pas simultanément déterminer en mécanique quantique (Heisenberg, tout ça…). Il y a un exemple très simple de propriété de ce genre, il s’agit du spin mesuré selon deux axes différents. Ah oui parce que j’ai été silencieux aussi là-dessus : quand fait une mesure de spin, on a toujours un axe (par exemple l’axe du gradient du champ magnétique dans l’expérience de déviation), et donc on mesure la projection du spin sur cet axe. Or pour une particule on ne peut pas simultanément mesurer la projection de son spin sur un axe et sur un autre axe, en particulier un axe orthogonal pour lequel on a une incertitude maximale. Si vous savez avec certitude que votre particule est + selon l’axe X, alors elle est dans un état parfaitement superposé + et – selon les axes Y et Z. Et on peut imaginer de mesurer le spin selon des axes qui font un certain angle entre eux : si cet angle est zéro, les mesures seront parfaitement identiques, si cet angle est 90°, elles seront totalement décorrélées, et si cet angle est intermédiaire, il y a aura une corrélation, d’autant plus faible que l’angle est important.
Ce que nous propose de faire Bell, c’est de mesurer simultanément le spin de deux particules intriquées, mais en mettant un angle entre les deux axes. Et le principe est le même : si cet angle est 90°, on obtiendra des mesures totalement décorrélées, si cet angle est 0°, des mesures totalement corrélées (et même plutôt anti-corrélées puisqu’un spin + d’un côté implique un spin – de l’autre). Et entre les deux ?
Ce que démontre Bell, c’est que dans une théorie à variables cachées locales, la corrélation entre les deux mesures à angle \theta est nécessairement inférieure à une certaine valeur. Alors que la mécanique quantique selon l’interprétation de Copenhague prédit des corrélations supérieures à cette limite, avec une dépendance en cos² dans l’angle plutôt que linéaire : la mécanique quantique « viole » les inégalités de Bell.
On voit sur cette courbe que si on veut expérimentalement tester les inégalités de Bell, alors on a intérêt à se placer à un angle de 45° qui est celui qui maximise l’écart entre la mécanique quantique et les théories à variables cachées.
Sur l’incompatibilité avec la relativité restreinte
Concernant l’incompatibilité (supposée) du phénomène EPR et de la relativité restreinte, il faut plonger un peu dans les détails pour y voir plus clair. Stricto sensu, la relativité restreinte ne nous dit pas que « rien » ne peut aller plus vite que la lumière. Mais elle nous dit plusieurs choses qui s’en rapprochent. Notamment le fait qu’on ne peut pas accélérer une particule jusqu’à lui faire dépasser la vitesse de la lumière (mais il peut très bien exister des particules qui vont plus vite que la lumière, à condition que ce soit le cas en permanence !…on appelle ça les tachyons.).
En revanche la relativité restreinte nous dit que si l’on souhaite préserver le principe de causalité, alors il ne peut pas y avoir d’influence « de cause à effet » qui se propage plus vite que la vitesse de la lumière. La clé de la solution de l’apparente contradiction entre le paradoxe EPR et la relativité restreinte est le fait qu’on ne peut pas utiliser EPR pour transmettre de l’information et donc violer le principe de causalité.
Et des variables cachées non-locales ?
Pour ceux qui seraient vraiment mal à l’aise avec le hasard quantique fondamental, et la réduction instantanée du paquet d’onde, il existe des moyens de sauver la théorie des variables cachées, pour peu qu’on les autorise à être « non-locales ». Il existe une théorie de ce genre, celle des ondes pilotes de Bohm. Je ne vais pas m’étendre sur sa description, mais sachez qu’elle a connu un inattendu regain d’intérêt ces dernières années, grâce aux travaux de physiciens français…en mécanique des fluides ! Ils ont en effet montré que l’on pouvait faire se comporter un système fluide d’une manière analogue à la théorie des ondes pilotes, notamment en obtenant une petite « particule » de fluide qui voyage sur une « onde » qui la porte.
Et la téléportation quantique ?
Je ne dirai rien sur la téléportation quantique, qui se base pourtant sur le principe d’intrication, pour la simple et bonne raison …qu’elle n’est pas de la téléportation ! Le terme est trompeur car il laisse sous-entendre que l’on transporte effectivement de la matière d’un point à un autre, alors qu’en réalité on transporte seulement de l’information (et pas plus vite que la lumière bien sûr), et cette information permet de dupliquer l’état d’une particule à distance. Il aurait plutôt fallu appeler ça « photocopie quantique » que « téléportation quantique ».